chronique houcharde irrégulière
No. 4
Leçon de vocabulaire
Dans Leçon de vocabulaire son Discours sur le style, qu'il prononça pour sa réception à l'Académie française, en 1753, Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, écrit : « Le style est l'homme même ». Aujourd’hui, il faudrait dire : « Le style est l'être humain même ».
Vendredi 20 janvier, j’ai assisté à la traditionnelle cérémonie des vœux. J’ai écouté avec attention le discours de notre maire. Une phrase a particulièrement retenu mon attention de linguiste : « Essayons d’être moins individualiste, moins égoïste, de vivre dans un respect mutuel, sans opposer les habitants, qu’ils soient permanents ou résidentiels. » (cité par Estelle FRANCEZON, Le Dauphiné Libéré, mardi 24 janvier 2023, page 7, Les grands projets vont se concrétiser cette année).
« Les habitants, qu’ils soient permanents ou résidentiels.» . En rentrant dans ma résidence houcharde, je me suis précipité sur les dictionnaires à ma disposition. « Habitants », je comprends ; « habitants ... permanents », je crois comprendre ; « habitants résidentiels », je ne comprends pas.
Comme Le Robert de poche, n’est jamais loin, je l’ouvre à « habitant, ante n. : 1 Être vivant qui peuple un lieu. 2 Personne qui réside habituellement en un lieu. »
Là où ça se gâte, c’est quand je passe à « résidentiel ».
« Résidentiel, elle adj. : De la résidence (surtout des beaux quartiers). » Comme je vous écris de la Résidence Le Château, aux Houches, c’est bien à moi que Madame le Maire s’adresse. J’ai trouvé mon identité houcharde : je suis un habitant résidentiel, c’est à dire un être vivant pas permanent, (encore vivant, tant que l’altruisme des représentants des habitants permanents n’aura pas tué le contribuable résidentiel).
En ce début de XXIème siècle, le problème de certains de nos édiles est qu’ils ont oublié que notre chère vallée résidentielle était un monde de paysans. Ils ne peuvent pas comprendre ce que je veux dire quand j’ose affirmer qu’un nouveau synonyme pertinent d’habitant résidentiel est « vache à lait ».
Dans le nouveau monde « moins individualiste, moins égoïste », nous vivrons dans « un respect mutuel ». Il est bien connu que dans l’ancien monde, c’était la vocation des moutons d’être tondus et des vaches de donner leur lait. Dans le nouveau monde, ce qui change, c’est que dans « un respect mutuel », les vaches donneront leur lait avec le sourire et les moutons diront merci d’avoir été si bien tondus. Puisque je file la métaphore animale, vous n’en voudrez pas à l’angliciste que je suis, de citer Animal Farm de George ORWELL : « All animals are equal, but some animals are more equal than others. ».(Tous les animaux sont égaux, mais certains animaux sont plus égaux que les autres).
Au fond, Buffon a raison : le style, est révélateur de la pensée profonde de son auteur. Quand Madame le Maire a associé le substantif « habitant » et l’adjectif qualificatif « résidentiel » elle a créé un concept révélateur de sa pensée profonde.
André Comte-Sponville, qui connaît bien notre humanité contemporaine, a fait cette remarque bien pertinente : « Le style, c'est l'homme ; quand le style est obscur, il faut déjà s'inquiéter ».
Bernard PONTIER
Ce texte n’engage que son auteur
P.S. : Pour ne pas perdre les bonnes habitudes, et afin de garder le moral, je vous livre cette photo prise au Prarion. Une question : où est l’arbre résidentiel ?